Scénario pédagogique

Scénario pédagogique1 orienté vers l’activité argumentative des élèves

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Ce scénario pédagogique présente quelques tâches qui peuvent être données aux élèves dans des parcours différents, de manière à engager les élèves à un ou plusieurs moments, dans une activité argumentative entre pairs ou en dialogue avec l’ensemble de la classe, enseignant-e inclus-e.

Chaque tâche est brièvement présentée par les quelques caractéristiques générales importantes pour l’engagement des élèves dans une activité argumentative, et illustrée par un exemple. Nous suggérons trois parcours pour entrer dans ce scénario, en fonction des compétences des élèves.

Le parcours 3 peut être prolongé d’un travail de groupe de manière à le compléter d’un parcours n°1.

  1. pour les élèves suffisamment avancés pour se lancer directement dans la proposition d’une réponse individuelle, sans que celle-ci ne soit trop rudimentaire ou rapidement terminée ; 
  2. pour les élèves moins avancés qui savent travailler en groupe efficacement, de manière à ce que les solutions amenées par les uns et les autres leur permettent de construire une réponse suffisamment intéressante ;
  3. pour les élèves ayant besoin d’un étayage par l’enseignant-e, qui oriente leur production en groupe et, à terme, individuellement.

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Prendre connaissance d’un problème de physique

Nous avons l’habitude de parler de « problème de physique » ou de « problème de math ». Pourtant, le problème est toujours problème pour quelqu’un … ce qui signifie que le problème que donne l’enseignant-e à ses élèves n’en est pas forcément un pour eux ! C’est bien là un des défis importants de l’enseignement, que les chercheurs n’ont pas tardé à identifier et discuter (voir par exemple : Bachelard, 1938/1972, Brousseau, 1998/2004). Dès lors qu’il s’agit d’une forme d’abus de langage que de dire « voici un problème de physique », il convient de préciser ce que l’on entend par là.

Un modèle est modèle de quelque chose, et on ne fait pas de la modélisation sans raison. On comprend alors la démarche pédagogique qui consiste à partir d’un problème, dont le modèle sera in fine la solution (Winther, 2005). Néanmoins, le problème déjà pensé et posé par l’enseignant-e ne l’est pas forcément par l’élève, ce qui a conduit à la célèbre formule visant à décrire l’enseignement des sciences, certes un peu cynique, qui va ainsi : « l’enseignant-e passe son temps à répondre à des questions que les élèves ne se posent pas … ». Tout cela pour dire qu’une activité de problématisation nous semble indispensable à toute tâche de modélisation. Mais qu’est-ce donc ce problème ou cette question avec laquelle devrait débuter l’activité cognitive de l’élève ?

Hormis dans les situations didactiques, dont la finalité est justement d’acquérir certaines compétences et connaissances, le problème lui-même est instrumental. On se le pose – ou il s’impose à nous – en vue d’une autre activité. C’est ainsi que la force de gravitation devient un problème de mécanique pour qui veut soulever des charges importantes, que le choix des connexions en série ou en parallèle est un problème pour celui qui veut augmenter la puissance des voitures électriques sur un circuit, que le déplacement de l’arc-en-ciel est un problème d’optique pour qui tente de le rejoindre. Or, cette finalité disparaît dès lors que l’on invite les élèves à résoudre un problème en classe. Il est alors d’autant plus important que les élèves disposent du temps et des moyens de s’approprier le problème qui leur est proposé, de poser des questions, et de prendre connaissance d’éventuels enjeux. Des questions sur quoi ? C’est que le problème n’est pas vraiment le point de départ. Le problème est déjà une construction, une première étape de l’activité intellectuelle qui peut, éventuellement, conduire à modéliser.

En physique, le point de départ c’est souvent la description du système auquel on s’intéresse et, plus précisément, d’un état spécifique du système que l’on appelle communément une « situation ». Le terme est assez peu pratique, tant il a de sens et d’usages différents dans de nombreux domaines. Les élèves ont en effet peu de chance de comprendre les innombrables liens théoriques et concrets qu’entretient l’état d’un système lorsqu’ils entendent « situation ». Si la physique part de l’état d’un système, c’est par exemple pour tenter de prédire un état ultérieur du système, ou un état déterminé par certaines conditions que l’on peut décrire ou mesurer au sein du système considéré2. Mais qu’est donc ce système dont on part ? C’est premièrement une description, une représentation d’un état du monde ou d’un ou plusieurs événements. En ce sens c’est une référence, de même que l’usage d’un mot fait référence à un objet s’il le désigne. Décrire un système dans une activité de physicien, que ce soit avec des mots, des dessins géométriques ou par des opérations mathématiques, c’est s’engager dans une activité sémiotique d’un genre particulier, comme quand on parle de quelque chose. On peut « faire la physique » de quelque chose. Deuxièmement, c’est aussi un choix, une sélection parmi l’inépuisable richesse du réel, de quelques éléments sur lesquels se porte notre attention parce qu’ils sont considérés intéressants ou pertinents dans cette démarche intellectuelle qui vient juste de s’amorcer. Vous l’aurez compris, la notion de système implique déjà partiellement une activité de modélisation, et c’est dire combien la modélisation est centrale à cette activité que l’on appelle parfois un peu simplement « faire de la physique ».

Dans cette première phase de la séquence, élèves et enseignant-e prendront soin de construire des références partagées au monde – à ce dont on parle – à travers une description du système étudié permettant à chacun, sinon de se poser des questions et un problème, au moins de le comprendre et de lui donner un sens.

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Des exemples de problèmes

La question posée dans notre exemple est adaptée à l’activité argumentative souhaitée, du fait qu’elle suscite systématiquement des réponses divergentes. D’une manière générale, la majorité des élèves sont plutôt d’avis que la boule de pétanque, plus lourde, est plus rapide. Certaines tâches scolaires de physique conduiront d’autres à répondre que les deux objets touchent le sol en même temps. Au-delà de ces alternatives souvent présentes, d’autres réponses plus circonstanciées apparaissent aussi fréquemment, et sont l’occasion de rebondir sur les choix opérés lors de la problématisation ou lors de la modélisation. Voici quelques exemples de questions à renvoyer aux élèves les invitant à réfléchir à la façon dont ils ont problématisé la situation :

  • Que signifie « toucher le sol avant l’autre » en physique ? À partir de quel ordre de grandeur (seconde, dixième ou millième de seconde, etc) considérerons-nous que nous devons ou pouvons répondre que les deux objets touchent le sol « en même temps » ?

D’autres questions invitent plutôt à réfléchir aux choix concernant la modélisation :

  • La main exerce-t-elle une action sur les objets, dans le modèle ?
  • Faut-il prendre en considération l’action du frottement de l’air sur les balles ? Qu’en est-il de la forme des balles et de la rugosité de leur surface ?
  • plus imaginatif encore : Faut-il inclure l’herbe et considérer qu’elle fait partie du sol, de manière à calculer les probabilités pour une balle de toucher un brin d’herbe plus élevé que l’autre balle pour pouvoir répondre à la question ?

La question posée dans notre exemple n’est cependant pas la plus intéressante à travailler dans une démarche visant la modélisation, car le système et l’état du système choisis constituent un cas particulier de compensation conduisant à l’accélération constante des objets en chute libre à la surface de la Terre, du moins si le modèle ne considère que les masses des objets, la force de gravitation exercée sur eux par la Terre, et la hauteur de la chute. Dans ce cas, la simplification par la masse des deux côtés de l’équation F=ma permet de mettre en évidence qu’il s’agit bien d’un cas particulier d’égalité. Évidemment, si les forces de frottement sont représentées dans le modèle, le problème est plus complexe et ne permet plus la simplification consistant à dire que tous les objets en chute libre à la surface de la Terre sont accélérés de manière identique. Une question semblable pour un mouvement à l’horizontale peut s’avérer plus riche pour l’activité de modélisation des élèves.

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Problématisation – Modélisation

Nous avons suggéré (voir « Prendre connaissance d’un problème de physique ») que faire de la physique c’est une activité sémiotique particulière, à l’instar de parler une langue vernaculaire, ou illustrer un ouvrage.

Dans cette activité sémiotique qu’est la physique, nous aimerions souligner l’importance de trois activités cognitives qui font la spécificité de la physique, et permettent par exemple de la distinguer des mathématiques3 (sans pour autant que ces activités soient uniquement utilisées en physique, bien entendu). Il s’agit de la problématisation, de la modélisation et de la conceptualisation. Même si notre dispositif d’enseignement mi-fini est centré sur la modélisation, ces trois activités sont si interdépendantes qu’il convient de brièvement les aborder toutes.

La problématisation est un préalable à la modélisation, qui permet notamment de justifier certains choix effectués lors de la construction du modèle permettant de solutionner le problème : selon la manière dont ce problème est posé, la pertinence de ces choix peut varier. Cette problématisation conduit à la formulation d’une ou plusieurs questions claires, univoques, ou à la description précise d’un problème spécifique relié à la description du système et/ou de certains de ses états. Fréquemment, ce sont les enseignant-e-s ou même les manuels qui ont effectué le travail de problématisation, de telle sorte que l’élève reçoit une tâche dont la consigne est déjà l’aboutissement d’une problématisation. Certains élèves peinent alors à comprendre le sens du travail qui leur est demandé. Dans la classe, cette problématisation est parfois présentée, et l’élève attentif peut la suivre comme une narration, une histoire qui lui est racontée. Il arrive aussi que l’enseignant-e introduise le problème en le mettant en scène, que ce soit par un dispositif expérimental attisant la curiosité, ou sous forme d’enquête en soulignant les enjeux du problème. De nombreux chercheurs se sont intéressés à la manière dont on peut inviter les élèves à une activité de problématisation, proposant par exemple de laisser les élèves manipuler du matériel pour qu’ils se posent eux-mêmes des questions (« la main à la pâte » : Charpak, 1996 ; Charpak, Lena & Quéré, 2005), ou proposant une présentation des tâches construites sur des liens avec la vie quotidienne des élèves ou sur une investigation (pour une synthèse de ces courants, voir Da Silva, 2004).

Pour Winther, la modélisation est « une phase décisive dans le processus scientifique, car en passant du réel au modèle, elle tend à remplacer le mystère par l’intelligible » (Winther, 2006, p.629). Pourtant, le modèle n’est souvent intelligible que par l’expert – ou celui qui l’a créé – et c’est là une des difficultés majeures de l’enseignement de la physique. Winther (2006, p.622) le souligne en ces mots : « Le physicien qui regarde tel modèle le regarde-t-il avec l’œil corporel, ou avec les yeux de l’esprit ? Le modèle qui donne à voir ne donne à voir qu’à l’initié qui connaît le support conceptuel qui justifie le modèle. » En outre, s’ajoutent à la complexité de la tâche de l’apprenant plusieurs types de modèles : des modèles analogiques, des modèles théoriques, des modèles mathématiques, des modèles réduits. En physique, ces divers types de modèles se côtoient, et constituent parfois des étapes différentes d’une modélisation. Nous faisons l’hypothèse que c’est en mettant lui-même en œuvre l’activité de modélisation que l’élève peut parvenir à comprendre le rôle des modèles en physique, leur diversité et leur usage. En effet, la construction d’un modèle se fait progressivement, et il est par conséquent possible de découper l’activité de modélisation en plusieurs étapes, et de donner des noms spécifiques aux modèles intermédiaires produits à chacune des étapes. Il existe plusieurs manières de décliner ces étapes (voir par exemple @), et pour faire simple nous en avons retenu trois :

  1. Le modèle simplifié, qui permet de constituer un système au sens de la physique. Cette première étape de construction permet essentiellement de choisir ce que l’on retient du système, autrement dit de le simplifier au maximum et, éventuellement, ce qu’on y ajoute, puisque dans certains cas le modèle est plus riche que son référent (p.ex. le dessin d’un vecteur est un modèle de vecteur plus riche que le vecteur lui-même).
  2. Le modèle physique s’obtient en ne faisant usage que de grandeurs physiques, autrement dit en traduisant le modèle simplifié en concepts d’une théorie spécifique. Dans le cas de la mécanique newtonienne, par exemple, il s’agit de n’avoir sur son modèle physique que des « choses » pour lesquelles on trouve chez Newton un concept : des points mathématiques, des longueurs, des mouvements, des forces, etc.
  3. Le modèle mathématique, qui permet d’associer des lettres ou des nombres (mesurés ou fictifs) aux grandeurs physiques du modèle physique, et qui permet surtout de poser des équations ou entre ces grandeurs par l’usage du langage mathématique. Une remarque s’impose : le modèle mathématique comprend lui-même de nombreuses versions dans un processus de modélisation d’un problème, selon les cas, puisqu’il peut être transformé selon les règles mathématiques d’une part, et que de nombreuses procédures ou méthodes différentes peuvent être mobilisées, d’autre part, de telle sorte qu’il faut souvent en essayer plusieurs avant de trouver une réponse ou solution au problème.

L’activité de modélisation devrait donc permettre aux élèves de faire le lien entre le référent – l’état ou l’événement du monde qu’ils connaissent par ailleurs – et l’usage des mathématiques qui permettent, si la modélisation va jusque là, de calculer une réponse au problème posé. C’est un enjeu essentiel de toute activité d’apprentissage de la physique que de comprendre ce lien, qui permet à la fois de comprendre la spécificité de la physique en tant qu’activité sémiotique productrice de connaissance et de faire un usage adéquat des mathématiques (sur le plan épistémologique on pourrait dire qu’elles ont un statut de langue d’usage, et à ce titre elles sont soumises aux sens que prend le modèle à un moment donné du processus de modélisation). Par ailleurs, l’activité de modélisation peut consister en tant que telle un objectif d’enseignement, notamment parce qu’apprendre à modéliser peut être utile pour d’autres usages que « faire de la physique » : dépanner son système de chauffage, améliorer la récolte de son jardin potager, inventer des nouvelles recettes de cuisine, etc.

La conceptualisation est essentielle à l’apprentissage des sciences, qui utilise le langage de manière spécifique. Un concept peut être défini comme une notion ayant acquis un sens précis au sein d’une théorie spécifique (pour une définition plus aboutie, voir Grize, 1990). Il s’agit pour les élèves essentiellement de s’approprier les concepts construits par d’autres, et pourtant cette tâche n’est pas facile, comme en témoigne l’abondante littérature de recherche sur « l’apprentissage conceptuel » (pour quelques problèmes de ce champ de recherche sur le conceptual change, voir par exemple: Vosniadou, 2007 ; Chi & Roscoe, 2002), à savoir l’acquisition par les apprenants de concepts scientifiques et les progressifs ajustements de sens encore nécessaire par la suite pour les mobiliser comme ressources théoriques dans des tâches précises. En effet, il ne suffit pas de faire usage du mot pour avoir acquis le concept, et pourtant enseignant-e-s et chercheurs en sont le plus souvent réduit à devoir se baser sur des indicateurs verbaux pour évaluer les apprentissages conceptuels des élèves. Or, les activités de modélisation offre des opportunités aux élèves de s’appuyer sur leur compréhension des concepts – ils peuvent en faire un usage sémiotique – plutôt que de seulement les réciter, les définir ou les interpréter verbalement. Pour les enseignant-e-s, les activités de modélisation offrent des opportunités de jauger de l’usage et de la maîtrise des concepts étudiés pour répondre à une question ou un problème. Ainsi, avec le problème fourni en exemple, le scénario visant l’argumentation peut contribuer à un raffinement des concepts de force, de gravité – s’agit-il par exemple de force ou d’accélération? – et d’inertie.

L’argumentation joue un rôle transversal à ces trois activités : les élèves qui s’engagent dans une activité argumentative entre pairs sont susceptibles de penser davantage leur problématisation, leur modélisation et, parfois, de reviser leur compréhension des concepts de physique (Erduran & Jimenez-Aleixandre, 2008 ; Buty & Plantin, 2009). En tant qu’activité réflexive à plusieurs, l’argumentation peut stimuler à la fois l’engagement des élèves dans les trois activités cognitives complexes qui nous avons brièvement soulignées ci-dessus, mais aussi permettre certains apprentissages, notamment par la prise de conscience des zones d’ombres, des incohérences et des idées divergentes que les interactions sociales peuvent mettre en évidence voire, parfois, constituer comme objet de débat (MullerPerret-Clermont2009).

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Discussion entre pairs

partie en construction

→ les trucs et astuces de l’apprentissage coopératif pour y parvenir, quand bien même mon scénario est ici plus proprement dit de l’apprentissage collaboratif … se positionner, ouvrir des options, outiller …

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Références bibliographiques pour aller plus loin

Bachelard, G., (1938/1972). La formation de l’esprit scientifique. Paris: Librairie Philosophique J. Vrin.

Brousseau, G., (1998/2004). Théorie des situations didactiques. Grenoble: La Pensée Sauvage.

Buty, C., and Plantin, C., (2009). Argumenter en classe de sciences. INRP, Lyon.

Charpak, G., Léna, P., et Quéré, Y., (2005). L’aventure de La main à la pâte. Paris: Odile Jacob.

Chi, M.T.H., and Roscoe, R.D. (2002) The Processes and Challenges of Conceptual Change. In: Limón, M., and Mason, L. (Ed.), Reconsidering Conceptual Change. Issues in Theory and Practice, Amsterdam: Kluwer Academic Publishers.

Erduran, S., and Jiménez-Aleixandre, M.P. (Ed.), (2008). Argumentation in Science Education. Springer.

Grize, J.-B., (1990). Logique et langage. Pris: Ophrys..

Muller Mirza, N., and Perret-Clermont, A.N., (2009). Argumentation and Education: Theoretical Foundation and Practices. New York: Springer.

Vosniadou, S. (2007). Conceptual Change and Education. Human Development, 50, 47-54.

Winther, J. (2006). Modèles et modélisation dans l’enseignement des sciences physiques. Le Bup, 100, 617-646.

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